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“Je n’ai pas peur de Donald Trump, je n’abandonnerai pas le pays qui m’a tout donné”

· LA DISCUTE

Ariana est arrivée aux États-Unis à l’âge de 4 ans. Comme ses parents, elle a franchi la frontière américano-mexicaine de manière illégale. Clandestine jusqu’à la création du DACA Program en 2012, elle se retrouve à nouveau dans une situation délicate : pourra-t-elle oui ou non continuer de vivre et d’exister dans l’unique pays qu’elle a véritablement connu tandis que l’administration Trump a déclaré la guerre aux Dreamers ? Portrait d’une jeune femme forte, devenue à son insu la porte-parole de ceux que l’on surnomme les rêveurs.

Mon histoire commence en 1989 à Mexico City. Née de deux parents d’origine mexicaine, j’ai été rapidement concernée par la question migratoire. À peine avais-je soufflé ma première bougie que mes parents commençaient véritablement à penser à mon avenir. Pour moi, mais aussi pour mes futurs frères et soeurs, ils ont décidé de partir travailler aux États-Unis quelque temps histoire de s’enrichir. Comme beaucoup de migrants à l’époque, ils ont voulu croire en leur American Dream. Une fois installé sur place, ce plan a changé. Il n’était plus question de rentrer au pays. Tandis qu’ils tentaient de s’accoutumer au mode de vie local, ma grand-mère prenait soin de moi de l’autre côté de la frontière. Je ne les ai pas vus pendant trois ans. Malgré leur absence, je ne leur en ai jamais voulu. Il faut dire que j’étais entre de bonnes mains.

L’année de mon quatrième anniversaire, l’heure du grand départ a finalement sonné. C’est drôle, car j’ai très peu de souvenirs de cette époque, c’est pour dire à quel point ce changement ne m’a absolument pas traumatisé. J’ai rejoint mes parents en Californie, dans une petite ville où chacun aidait son prochain lorsqu’il en avait besoin. Personne ne s’est jamais soucié de savoir si j’avais oui ou non des papiers. Pour mes voisins, c’était une évidence puisqu’ils m’avaient vu grandir. Évidemment, ceux qui se trouvaient dans la même situation que nous savaient. Nous n’avions nul besoin d’en discuter. Puis il faut dire qu’à l’époque, l’immigration n’était absolument pas la priorité du gouvernement. On vivait notre vie plus ou moins sans avoir peur des lendemains. Je ne dis pas que c’était facile, car à n’importe quel moment on aurait pu être déporté… Quelqu’un aurait pu nous dénoncer ou bien l’un d’entre nous aurait pu être arrêté pour n’importe quelle raison. Honnêtement, c’était mon pire cauchemar. Bizarrement, lorsque j’étais plus jeune, j’étais bien plus inquiète pour mes parents que pour moi. Aujourd’hui, c’est quelque peu différent, mais ça m’obsède tout autant. Je dois reconnaître que l’on a eu beaucoup de chance.

“Ni de aqui, ni de alla”

Enfant, j’ai vécu dans un climat prospère à la solidarité. Je pense que vivre loin des grandes villes m’a permis de m’épanouir. Jusqu’à l’âge adulte, je n’ai jamais été discriminée. On ne m’a jamais insulté ni même méprisé pour ce que j’étais. Malgré cette tolérance, j’ai tout de même choisi de renier mes origines. Quand j’étais au lycée, je ne voulais qu’une chose : être la plus américaine possible. C’était la culture majoritaire, la culture respectée et respectable pour les autres. Pendant de nombreuses années, j’ai eu un vrai problème identitaire. Je ne savais pas comment me sentir. Devais-je être fière d’être Mexicaine ou bien essayer d’être encore et toujours plus Américaine. C’était un vrai dilemme pour moi, puis peu à peu c’est devenu une évidence. Lorsque je voyais un drapeau volé dans les airs, j’étais émue. Je ressentais énormément de fierté pour ce que représentait ce symbole. C’était tout bonnement l’illustration même de la liberté et de l’égalité. Aujourd’hui, avec l’administration Trump aux commandes de la Maison-Blanche, je dois reconnaître que mes sentiments ont changé quant aux Stars and Stripes. Je me sens frustrée, dégoûtée et surtout déçue. C’est comme si j’étais prête à tout donner pour ce pays, tout en sachant que je n’aurais jamais rien en retour. Actuellement, ma vie ressemble à grand 8, avec beaucoup de bas et très peu de hauts. Ici, on ne me considère pas comme une Américaine et au Mexique, je le suis trop. En espagnol, on a une expression pour ça. On parle de “ni de aqui, ni de alla”, ce qui veut dire “ni d’ici, ni de là”.

“J’ai commencé à vivre avec le DACA Program”

Jusqu’à l’adoption du DACA Program en 2012, j’étais prisonnière de ma clandestinité. Le statut d’étudiante me permettait de tenir le coup. Tant que j’allais à l’école, je n’avais pas à me soucier de l’avenir. Seulement, cette protection, cette bulle dans laquelle j’évoluais avait une date de péremption. Après mon master, la suite logique des choses aurait été de trouver un travail sauf que c’était impossible pour moi. Être sans papier m’empêchait d’avoir un numéro de sécurité sociale et donc d’avoir un job. Les mois qui ont suivi ma remise de diplôme ont été extrêmement durs pour moi. Je trouvais ça injuste et la pilule avait du mal à passer. Puis le mois de juin est arrivé, avec la création du programme DACA (“action différée pour les arrivées d’enfants”). Étant arrivée bien avant mon 16e anniversaire, je remplissais tous les critères. Seulement, j’étais extrêmement sceptique. L’échec du National Dream Act* en 2010 m’a énormément affecté. Je n’avais pas envie d’y croire pour être à nouveau déçue. Quant à mes parents, ils étaient sur un petit nuage. Pour eux, tout prenait enfin sens. Ils avaient l’impression de s’être mis en danger pour une bonne raison. Ils pensaient que j’étais enfin épargnée. Même s’ils ne pouvaient pas en bénéficier, ils étaient tout simplement heureux.

Une fois que les applications ont été ouvertes en novembre, j’ai pris mon temps pour postuler. Déposer un dossier revenait à donner toutes mes informations et donc mettre ma sécurité en danger. Je voulais être sûre de moi avant de sauter le pas. Puis finalement, quelques semaines plus tard, c’était devenu officiel. J’étais une Dreamer (rêveuse). Je pouvais enfin travailler légalement et ne plus être payée en carte cadeau. Je pouvais également voyager, louer un appartement, acheter une voiture, bénéficier d’une assurance… Ça semble anodin, mais ça a changé ma vie. Je dirais même que j’ai commencé à vivre avec le DACA Program. Je me suis sentie tellement confiante. Étrangement, j’ai voulu m’investir politiquement, devenir un membre à part entière de la société. Pour cela, j’ai rejoint les Marin County Young Democrats (groupe d’étudiants investis politiquement et engagés pour le parti démocrate). Même si je ne pouvais pas voter, je voulais inciter les gens à le faire. Inconsciemment, je voulais également apprendre à être une bonne citoyenne, juste au cas où. Avec le recul, je dirais que je n’ai jamais été autant Américaine qu’à cette période de ma vie. Et puis, Donald Trump a été élu.

“Personne ne baissera les bras”

Lorsque Donald Trump a été élu, je me suis sentie dévastée. J’ai été envahie par des milliers d’ondes négatives. Ça a été si violent que j’en avais la nausée à longueur de journée. Pour moi, sa victoire se résumait à celle de la suprématie blanche. Aujourd’hui, on vit dans un pays où être raciste n’est plus un problème, au contraire cela revient à être en totale adéquation avec le gouvernement. Au quotidien, je me sens anxieuse. J’ai peur de me trouver au mauvais endroit au mauvais moment. En janvier 2017, quand le Muslim Ban a été promulgué, j’ai voulu manifester avec certains de mes amis à l’aéroport de San Francisco. Une fois sur place, j’ai eu une sorte de crise de panique. Inconsciemment, j’étais persuadée que j’allais me faire arrêtée alors je suis partie avant même que ça ait commencé. Je n’ai jamais été agoraphobe par le passé, désormais ça fait partie de moi. Si je devais décrire ma vie en deux mots, j’emploierais vulnérabilité et insécurité. Pour autant, je reste confiante. Je sais que je ne suis pas seule. Nous sommes plus de 800 000 dreamers ici et c’est plus de 60% de la population qui est contre la suppression du programme DACA. Il y a une certaine résistance et je sais que personne ne baissera les bras.

Ce qui se passe en ce moment n’a rien d’exceptionnel. On a vécu la même chose en 2010 avec le Dream Act. J’aime croire que nous avons appris de nos erreurs et que cette fois-ci, on ne nous tournera pas le dos. Je suis et j’essaye d’être au maximum optimiste. Je ne dis pas que je ne suis pas en colère, seulement j’ai fini par comprendre que ça ne m’apportait rien. En revanche, j’ai besoin de partager mon vécu avec les autres. A l'occasion de la Women's March de San Francisco, l’une de mes mentors m’a proposé de donner un discours pour représenter son association (Chicana Latina Foundation). C’était totalement inattendu. La veille pour le lendemain, j’ai dû réfléchir à ce que je pourrais bien dire. Je voulais transmettre mon énergie, mon envie, mais aussi mon ras-le-bol. Le jour J, j’appréhendais de monter sur scène. Je me suis imaginée les pires scénarios. Puis une fois le micro en main, je me suis laissée porter par la foule. Beaucoup de mes proches sont venus me soutenir et grâce à eux, je me suis sentie forte.

L’avant et l’après 5 mars 2018

En septembre dernier, Donald Trump a fixé une sorte de deadline pour le programme DACA. À compter du 5 mars, le débat devait être clos. Le gouvernement devait trouver au préalable une solution qui puisse satisfaire les deux partis. Avant que la Californie se désolidarise de la Maison-Blanche en adoptant une injonction en faveur des Dreamers, cette date m’obsédait. Je ne pensais qu’à ça. Depuis plusieurs mois maintenant, mon humeur varie en fonction de l’actualité. Lorsque Donald Trump a dévoilé son offre pour résoudre “le problème migratoire”, je me suis tout simplement dit que c’était une blague. Offrir la nationalité à plus d’un million de migrants contre la construction d’un mur entre le Mexique et les États-Unis, c’est d’une bassesse incroyable. Dieu merci, sa proposition n’a pas été acceptée. Pour moi, se soumettre à sa volonté revenait à vendre notre âme au diable, car soyons claires, il nous aurait fallu des années et des années pour que ce plan rentre en vigueur. En attendant, qu’est-ce qu’on faisait ?

Personnellement, je préfère me concentrer sur du concret. Grâce à l’injonction, j’ai bon espoir de pouvoir prolonger mon statut de Dreamer. J’essaye de ne pas penser aux autres alternatives possibles, même si ma mère me met énormément la pression quant à un éventuel mariage. Elle me répète sans cesse que je devrais déjà avoir la bague au doigt. Même si c’est une possibilité, mon avocat considère que la situation n’est pas encore assez urgente. Je préfère retourner sur les bancs de l’école, plutôt que de mettre quelqu’un en danger. Je sais que mon cas n’est pas le plus désespéré, je peux toujours faire un doctorat ou bien retourner vivre au Mexique, simplement je ne veux pas abandonner. En tout cas, je ne suis pas prête de le faire.

*Dream Act : Projet de loi proposé en 2001 et rejeté en 2010. Il prévoyait d’offrir une carte de résident aux enfants entrés sur le territoire américain de manière illégale. Le but étant de les protéger d’un éventuel déracinement dû à la déportation.

Joanna Valdant