Revenir au site

Le malheureux complexe de l’accent (français)…

· PAUSE REFLEXION

S’approprier une langue étrangère, c’est comme s’offrir un remake de « Mars Attack ! » version linguistique. Qu’importe votre niveau, vous serez à jamais stigmatisé par cet accent tenace et peu gracieux à l’écoute. D’autant plus, s’il est made in France ! Sacrilège…

En août dernier, l’accent français était élu pour la deuxième fois consécutive « l’accent le plus sexy au monde ». Acclamé par nos voisins anglophones, il illustre tout bonnement le charme gaulois, le romantisme parisien, mais aussi la médiocrité de notre niveau linguistique. Malgré les efforts de nos représentants politiques, c’est plus de 2/3 de nos concitoyens qui ne peuvent s’exprimer autrement que dans leur langue natale. À défaut d’offrir à nos petites têtes blondes un enseignement correct en langues étrangères, ces dernières se retrouvent complètement désabusées, tétanisées au moment de prendre la parole. C’est d’autant plus vrai en anglais tant la prononciation des mots peut s’avérer différente. Les R, les TH, GH, ED, I, Y de Shakespeare vous narguent tandis que vous donnez le meilleur de vous-mêmes pour vous fondre dans la masse. En dehors de l’hexagone, l’enjeu est encore plus grand : le regard et la compréhension de l’autre font monter la pression d’un cran. Et même si vous vous en sortez très bien, il y aura toujours quelqu’un qui saura vous rappeler d’où vous venez. « Oh… you’re french ! » Sympathique au début, cette allusion peut vite devenir lassante, voire incriminante. Bien qu’il équivaille à la version orale de votre identité, votre accent vous exclut d’une certaine manière de la norme en rigueur. Audible et différent de ce qui se fait et s’entend autour de vous, il vous marginalise et vous transforme en OVNI. On parle alors de discrimination linguistique ou bien de « glottophobie ». Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce mal ne concerne pas seulement les langues étrangères, il divise aussi ceux qui partagent la même langue maternelle.

L’éternel étranger

Conscient de la véracité de ce phénomène en France, le sociolinguistique et professeur de l’Université de Rennes II, Philippe Blanchet, a créé dans les années 1990 le terme « glottophobie ». Sous cette étiquette cousine de la xénophobie se cache toute forme de discrimination orale - aussi bien l’accent que les expressions régionales. Ces différenciations culturelles et didactiques impactent l’insertion professionnelle, mais aussi l’aptitude de chacun à s'épanouir au sein même de la société. Selon le secteur dans lequel on évolue, il est souvent conseillé d’effacer ce marqueur linguistique au profit de ce qui est apprécié : la neutralité. Interviewé par de nombreux journalistes à l’occasion de la promotion de son livre « Discriminations : combattre la glottophobie » en 2016, Mr Blanquet prône pourtant une tout autre démarche, celle de l’acception. Interrogé par Libération, il explique l’importance d’affirmer coûte que coûte qui on est : « Une langue sert à dire qui nous sommes. Rejeter, même sur le ton de la blague, une manière de parler, un accent, une langue, ce n’est pas simplement dire : ici, on utilise tel logiciel pour communiquer plutôt que tel autre. Mais c’est toucher à l’identité de l’être, rejeter ce qu’il est. » 

Alors au lieu de complexer sur cette marque de fabrique contentieuse, nous devrions plutôt la crier haut et fort, telle une Marseillaise un soir de match.

5 mots anglais imprononçables : Cornstarch, Cucumber, figure out, throughout, particularly… Tu comprends l’origine de cet article maintenant ?

Joanna Valdant