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« Retrouvée morte, étouffée par une feuille de salade »

· FICTIVEMENT VOTRE

« Merde. » 

Voilà le premier mot qui m’est venu à l’esprit lorsque j’ai compris ce qui était en train de m’arriver. Dans un excès de gourmandise, que dis-je d’impatience, j’ai littéralement ingurgité une douzaine de feuilles de salade en un coup de fourchette, top chrono. Non pas que le jeu en valait la chandelle - on parle de salade, pas d’un McChicken - mais ma faim, elle, ne faisait pas la difficile. Tandis que cette fade verdure traversait les méandres de mon oesophage, l’une d’entre elle a fait blocus. « No Pasarán » criait-elle en chef de meute tandis que ma vie tournait au vinaigre. Suffocation après suffocation, tentative après tentative de m’auto-Heimlicher, j’ai finalement lâché prise pour la première fois depuis de longues années. Seule face à mon désespoir, j’ai succombé aux tristes représailles de mon ennemi de toujours… J’ai nommé le légume. Qui aurait cru qu’un jour il me ferait plier le genou, lui cet éternel beau-parleur ? Derrière ses airs de Sainte-Nitouche, il m’avait promis à maintes et maintes reprises minceur et légèreté. En bonne croyante qui se respecte, j’ai tout simplement bu ses paroles.

Pour lui, j’ai tout abandonné : histoires olé olé au fast-food du coin, les 5 à 7 alimentaires, les Snickers cachés dans le soutif, promotion canapé avec la boîte de Lindt… TOUT. Tout ça pour qu’on me retrouve seule chez moi, asphyxiée par une putain de feuille de laitue. Bon OK, peut-être qu’elle ne mérite pas ce qualificatif injurieux…au fond de moi, je sais que je ne devrais pas la blâmer. Elle et moi, on a été dans le même bateau tout au long de notre vie. Faut pas croire, pour elle aussi, cette épreuve a dû être bouleversante. Je veux dire quelle feuillette rêverait d’être traitée avec aussi peu d’estime. Comme nous, elles devraient toutes être chéries pour ce qu’elles sont et non pas pour ce qu’elles pourraient être. Le hic, c’est qu’on attend d’elles qu’elles ressemblent à ces mannequins photoshoppées exposées sur les sachets d’emballage. On assume pleinement l’idée que l’irréel devienne un objectif en soi, salade ou pas salade. On veut que leur courbe soit parfaite, brillante et drainante à souhait. On se fiche pas mal de leurs maux, on veut qu’elles soient les reines des reines des batavias - qu’importe ce qu’elles endurent et bouffent comme pesticides. Tout de suite, elles ont l'air bien plus humaines que ce qu’elles n’y paraissent n'est-ce pas ?

Comme nous, elles ont des complexes. Comme nous, elles sont persécutées pour leur apparence. Comme nous, elles ont grave la pression. Quand on connaît la tronche de la ligne d’arrivée, la fameuse « sans retour », est-ce que ça ne vaudrait pas le coup d’envoyer balader ces diktats à la con ? Faisons péter notre bouton de jeans et brandissons fièrement nos Cheeseburgers. A vos bourrelets citoyennes et vive les légumes moches* !

* Aucun partenariat n’a été signé avec Intermarché. Promis, juré, craché !

Joanna Valdant